31.07.2019

La réforme des retraites

Préconisation réforme des retraites - Jean-Paul Delevoye 18 Juillet 2019

                                      

Jean-Paul Delevoye a présenté, le 18 juillet dernier, ses préconisations pour la réforme des retraites. Depuis 1993, les gouvernements avaient opté pour des réformes paramétriques modifiant le système sans en changer fondamentalement les règles. Un processus d’alignement avait néanmoins été engagé avec une harmonisation progressive des modalités de liquidation de la pension au sein des différents régimes, fruit de notre histoire sociale.

 

Le maintien de spécificités était, à tort ou à raison, de plus en plus mal perçu par l’opinion publique au point qu’elle juge le système de retraite français injuste et inéquitable (71 % des Français selon un sondage Cercle de l’Épargne/Amphitéa de 2018). La promesse du Président de la république, Emmanuel Macron, de créer un régime universel selon le principe « un euro cotisé donne les mêmes droits pour tous », a reçu un accueil très favorable durant la dernière campagne présidentielle même si la crainte d’un report de l’âge de départ à la retraite a, depuis, érodé l’ampleur du soutien à la réforme.

 

Le régime universel parachève le travail des pères fondateurs de la Sécurité sociale

 

Le programme du Conseil National de la Résistance publié le 15 mars 1944 avait fixé comme objectif l’instauration « d’un plan complet de Sécurité Sociale visant à assurer à tous les citoyens les moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail, la gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État ». Il indiquait également qu’ « une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours » devait être instituée.

 

Au nom de l’unité du pays retrouvée, les instigateurs de la Sécurité Sociale rêvaient d’un grand régime unique couvrant toutes les professions et toutes les branches de la protection sociale. La loi du 22 mai 1946 pose le principe de l’assujettissement obligatoire et clôt, après plus d’un siècle de tergiversation, le débat du caractère facultatif ou non de la couverture retraite. La loi du 13 septembre 1946 ordonne que toute la population soit affiliée à l’assurance-vieillesse à compter du 1er janvier 1947. Cet objectif de principe resta un vœu pieux. La loi fut même abrogée en 1947. Les non-salariés ont refusé de rentrer dans le régime général. Ils ne voulaient pas que leurs cotisations alimentent la caisse des salariés pour des raisons économiques et politiques. Les grandes entreprises des secteurs du transport et de l’énergie qui s’étaient dotées de leur propre régime d’assurance vieillesse ne sont pas entrées dans le régime général car ce dernier était moins généreux que le leur. C’est ainsi que sont nés les régimes spéciaux à la SNCF, à la RATP, aux Charbonnages de France ou à EDF.

 

La fonction publique disposait de longue date de son propre système. En effet, l’histoire des retraites des fonctionnaires de l’État débute sous l’Ancien Régime avec, en 1768, la création de la Caisse de retraite de la Ferme générale. Sous la Révolution, la loi d’août 1790 crée le premier régime des fonctionnaires de l’État et dont le champ d’application s’étend aux pensions civiles, ecclésiastiques et militaires. Le régime sera modifié par les lois de 1831. La loi du 9 juin 1853 fixe les principales règles des pensions de la fonction publique qui sont en vigueur jusqu’à maintenant.

 

 

La construction d’un nouveau paysage des retraites

 

En voulant instituer un régime universel par point, le Gouvernement décide donc de redessiner l’ensemble du paysage de la retraite. Les trois fonctions publiques ainsi que les régimes spéciaux sont concernés par cette révolution systémique. Jean-Paul Delevoye a précisé que l’intégration complète des 42 régimes de base et des complémentaires qui y sont associées pourrait s’étaler sur 15 ou 20 ans.

 

Un régime universel par points pour tous

 

Le système actuel de retraite est constitué de 42 régimes de base et d’une centaine de régimes complémentaires obéissant à des règles différentes rendant les comparaisons difficiles. Le futur régime universel reposera sur un système par points. Tout actif aura un compte de retraite sur lequel seront comptabilisés les points de retraite accumulés durant l’ensemble de la vie professionnelle. Ce dispositif remplacera pour les fonctionnaires la règle de la pension égale à 75 % du traitement des six derniers mois (hors primes). Pour le calcul de la pension, il ne sera plus fait référence au nombre de trimestres cotisés comme cela est de mise actuellement.

 

L’entrée en vigueur progressive du régime universel

 

L’entrée en vigueur est prévue à partir de 2025 et concernerait les générations 1963 et postérieures. Sur ce point, le Haut-Commissaire laisse le débat ouvert. La phase de transition pourrait durer entre 15 et 20 ans. Cette période transitoire pourrait en particulier concerner les fonctionnaires.

 

Les retraités et les actifs se trouvant à moins de cinq ans de la retraite en 2025 ne sont donc pas concernés.

 

Les droits dans l’ancien système garantis

 

À partir du 1er janvier 2025, les assurés qui ont déjà commencé leur vie active avant cette date auront cotisé dans deux systèmes différents. De ce fait, leur future pension sera constituée de deux blocs. Une photographie de leur situation au regard de la retraite au 31 décembre 2024 sera réalisée et donnera lieu à un versement au sein de leur compte retraite d’un nombre de points. Pour les régimes à points qui basculeront dans le régime universel, (AGIRC/ARRCO ou RAFP) une conversion de points sera réalisée.

 

L’âge légal de départ à la retraite reste fixé à 62 ans mais un âge d’équilibre à 64 ans est institué

 

L’âge légal de départ restera fixé à 62 ans, mais cela deviendra un âge minimum de départ. Un âge « d’équilibre » à 64 ans sera instauré. Les assurés partant avant 64 ans pourraient subir une décote pouvant atteindre 10 % de leur pension. Pour les départs au-delà de ce seuil, une surcote pourra être appliquée, pouvant atteindre également 10 %. L’âge de la retraite à taux plein de 67 ans est supprimé. L’âge pivot de 64 ans pourra faire l’objet de révision en fonction de l’évolution de l’espérance de vie.

 

Un alignement progressif des âges de départ à la retraite est prévu. Ainsi, les départs anticipés dans la fonction publique et dans les régimes spéciaux disparaîtront. L’âge légal sera porté de 57 à 62 ans entre la génération 1968 et 2002.

 

Le maintien de particularités ne serait plus lié à l’existence de régimes spéciaux mais à la pénibilité de certaines professions (policiers, militaires, pompiers). Ainsi, pour certains métiers dangereux ou pénibles les départs anticipés seront maintenus. Seraient concernés les policiers, les gardiens de prison, les ingénieurs du contrôle aérien. Ils pourraient toujours partir à 52 ans. Les sapeurs-pompiers et les policiers municipaux pourraient partir à 57 ans. Le régime des militaires conservera par ailleurs ses spécificités.

 

Le compte professionnel de prévention sera généralisé afin de mieux prendre en compte la pénibilité. Ce compte ouvrira la possibilité de partir en formation, de passer en temps partiel sans perte de salaire et de partir jusqu’à deux ans plus tôt à la retraite. Ce compte qui existe déjà dans le secteur privé sera étendu avec la réforme systémique aux fonctionnaires et aux régimes spéciaux.

 

Un taux de cotisation à 28,12 % sauf pour les indépendants

 

Deux cotisations retraite sont prévues. Une cotisation plafonnée de 25,31 % qui permet l’acquisition de points. Elle s’appliquera à toute la rémunération dans la limite de trois fois le plafond de la Sécurité sociale, soit environ 120 000 euros. Une cotisation de 2,81 % s’appliquera à l’ensemble de la rémunération et servira à financer les dépenses dites de solidarité. Ces deux cotisations seront partagées entre employeurs (60 %) et salariés (40 %). Ces cotisations seront identiques quel que soit l’employeur privé ou public. L’ensemble des primes des fonctionnaires sera désormais pris en compte pour le calcul de la retraite (aujourd’hui, seule une petite part l’est dans le cadre du régime additionnel de la Fonction Publique). Compte tenu de la baisse de rémunération des fonctionnaires que provoquera l’assujettissement des primes à cotisations, le Haut-commissaire à la réforme des retraites a admis qu’une période transitoire devra être instituée durant laquelle l’État pourra s’acquitter des dites cotisations.

 

Le taux de cotisation sera cependant différent pour les indépendants qui cotiseront à hauteur de 28,12 % sur les 40 000 premiers euros gagnés puis à hauteur de 12,94 % sur les 80 000 euros suivants. Au-delà de 120 000 euros, les indépendants devront s’acquitter de la cotisation de solidarité de 2,81 %. Dans les faits, cela représente une hausse par rapport à leur régime actuel. Celle-ci sera compensée par une baisse de la CSG. 

 

La valeur des points et le montant des pensions

 

En l’état actuel, Jean-Paul Delevoye a rendu public la valeur du point dans le futur régime. Celle-ci serait de 5,5 %. 10 euros de cotisation permettront d’acquérir un point, qui sera revalorisé tout au long de la carrière en fonction de l’évolution des salaires. Pour 100 euros cotisés pendant sa carrière, un retraité percevra 5,5 euros par an pendant toute sa retraite, s’il a travaillé jusqu’à 64 ans, ce qui représente le taux de rendement du régime à taux plein.

 

Les points accumulés seront indexés sur le revenu moyen par tête quand les pensions le seront sur le taux d’inflation. Malgré tout, Jean-Paul Delevoye a indiqué que les points pourraient demeurer indexés sur l’inflation. En ce qui concerne les pensions, leur actualisation pourra prendre le cas échéant en compte l’évolution des salaires.

 

Un régime unique de réversion

 

Les règles de réversion diffèrent en fonction des régimes. Plus de 13 cas cohabitent en la matière. Les pensions de réversion peuvent, selon les cas, être ou non attribuées sous condition de ressources, à des âges et des taux différents. De même, en fonction de l’évolution maritale, elles peuvent éventuellement être suspendues ou supprimées.

 

L’idée retenue par Jean-Paul Delevoye serait de garantir aux veufs 70 % des pensions constatées du couple avant le décès du conjoint. La réversion sera financée par l’impôt et pourrait entrer dans le champ de compétence du nouveau Fonds de réserve du régime universel.

 

Les majorations pour enfants

 

Une majoration des points de 5 % sera attribuée dès le premier enfant et pour chaque enfant. Ces points, par défaut attribués à la mère, pourront être partagés entre les parents. Aujourd’hui, seules les familles de plus de trois enfants bénéficient d’une majoration de 10 %.

 

Les mesures de solidarité avec un minimum de retraite fixé à 85 % du SMIC

 

Les périodes de congé maternité, de congés maladie, d’invalidité et de chômage indemnisés donneront lieu à des attributions de points.

 

Les assurés bénéficient dans le système actuel de dispositifs garantissant des minimas de pension : minimum contributif pour le régime général et garantie de pension pour la fonction publique. Dans le nouveau système, des filets de sécurité seront également institués pour les assurés à faibles revenus mais ayant un nombre suffisant d’années de cotisation. Conformément aux engagements pris, ce minimum sera fixé à 1 000 euros, soit 85 % du SMIC.

 

Un établissement public paritaire pour gérer le nouveau système

 

Le Gouvernement devrait créer la Caisse nationale de retraite universelle sous la forme d’un établissement public. Son Conseil d’administration sera paritaire et pourrait comporter treize représentants des assurés et treize représentants des employeurs et des indépendants. Il aura à se prononcer sur le pilotage du système dans le cadre de la trajectoire définie par le Parlement et l’exécutif. Une Assemblée générale rassemblera l’ensemble des assurés et des employeurs afin de donner « un avis », notamment sur le pilotage du système, tandis qu’un « conseil citoyen » fera, chaque année, des propositions au conseil d’administration et au Gouvernement.

 

Entre 2020 et 2025, la Caisse nationale met en œuvre le schéma de transformation qui aboutit à intégrer la CNAV, l’AGIRC/ARRCO, la CNAVPL et l’IRCANTEC. Elle procède par délégation de gestion pour la gestion locale. En 2030, la fusion sera achevée avec la création d’établissements locaux. Les URSSAF sont censées être en charge de la future collecte des cotisations sociales.

 

L’équilibre du régime, l’adoption d’une règle d’or

 

Le Haut-Commissaire à la réforme des retraites a indiqué qu’au moment du grand basculement, en 2025, le régime devrait être à l’équilibre, ce qui suppose que des mesures d’ordre paramétrique soient adoptées d’ici là. Afin de ne pas polluer la négociation sur le régime universel, le Gouvernement a décidé de ne pas en introduire dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2020 mais cela ne serait que partie remise.

 

Une règle d’or d’équilibre sera instituée pour garantir la pérennité de la trajectoire financière du système. Cette règle prévoira que le solde cumulé soit positif ou nul par période de cinq années avec un horizon de long terme.

 

Les dépenses de solidarité représenteront 25 % des dépenses totales du nouveau régime et devraient rester dans cette limite.

 

La création d’un fonds de réserve universel

 

En 1999, Lionel Jospin avait créé le Fonds de Réserve des Retraites censé épauler le système de répartition durant la période d’arrivée des baby-boomers à l’âge de la retraite. Entre temps, ce fonds de réserve a été affecté au remboursement de la dette sociale accumulée depuis une vingtaine d’années.

 

Jean-Paul Delevoye propose, de son côté, la création d’un Fonds de réserve de retraite universel doté d’une partie des réserves constituées par les actuels régimes de retraite. Ce fonds aurait pour objectif d’assurer la pérennité financière du futur régime. Le régime additionnel de la fonction publique qui fonctionne comme un fonds de pension pourrait être mis à contribution. Les réserves qui ne seront pas nécessaires à la couverture des engagements transférés au système universel pourront être utilisées à la discrétion des caisses qui les détiennent. Elles pourront financer des droits supplémentaires, prendre en charge une partie des cotisations, abonder un régime supplémentaire ou financer des œuvres sociales.

 

Les régimes de retraite par répartition disposent de 137 milliards d’euros de réserves qui font l’objet d’un débat concernant leur éventuelle dévolution avec la mise en œuvre du futur régime universel de retraite. À ces réserves, il faut ajouter celles du Fonds de réserve des retraites (36,4 milliards d’euros) et celles des régimes par capitalisation obligatoires (RAFP : 22,4 milliards d’euros ; CAVP : 5,8 milliards d’euros).

 

L’adoption de la réforme après les municipales

 

Le calendrier d’adoption de la réforme apparaît complexe. En effet, Jean-Paul Delevoye a prévu un nouveau cycle de négociations avec les partenaires sociaux. Un texte devrait être présenté au mois de novembre en Conseil des Ministres avec une discussion au Parlement plus probablement attendue après les municipales de mars 2020.

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