03.03.2020

L’inflation, un mal qui nous fait défaut

Tour d'horizon

Après la Seconde Guerre mondiale et jusque dans les années 80, la France s’est battue contre l’inflation à coup de plans de rigueur, de contrôles des prix, de blocages des salaire ou d’encadrements du crédit.

 

Aujourd’hui, les pouvoirs publics tentent de la réanimer mais elle demeure invisible. Compte tenu des tonneaux de liquidités déversés par les banques centrales (multiplication par trois de la base monétaire par rapport au PIB en dix ans), du retour du plein emploi dans de nombreux pays et de la faiblesse des gains de productivité, le retour de l’inflation serait logique.

 

La faible progression de la population en âge de travailler en raison de la dénatalité devrait également jouer en faveur de l’inflation. Dix ans après la crise, les revendications salariales devraient être également plus nombreuses. 

Le plein emploi, logiquement synonyme d’inflation salariale

Le taux de chômage au sein de l’OCDE qui était de plus de 9 % en 2010 est redescendu fin 2019 à moins de 5 %. Au sein de l’Union européenne, 13 États sur 27 ont un taux de chômage inférieur à 5 %.

 

Celui-ci est de 3,5 % aux États-Unis et de 2,5 % au Japon. Dans les prochaines années, le vieillissement de la population devrait provoquer un nombre élevé de départs à la retraite avec des entrées réduites sur le marché du travail. Cette situation devrait amener une hausse des salaires et donc des prix. La progression des salaires pourrait se nourrir de la stagnation du niveau de vie de plusieurs catégories d’actifs depuis plus de dix ans (États-Unis, France, Italie, etc.).

 

La faiblesse des gains de productivité ne permet pas aux entreprises de compenser les revalorisations éventuelles de salaire. Les gains de productivité qui étaient supérieurs à 2 % avant la crise sont voisins de 1 % actuellement. 

 

Les faibles accélérations salariales sont imputables aux nouvelles formes d’emploi et à l’augmentation du taux de participation qui atteint, au sein de l’OCDE plus de 86 % en 2019 contre 81 % en 1999. Des personnes qui avaient quitté le marché du travail y reviennent en raison des créations d’emploi. Ce phénomène est constaté aux États-Unis comme en Allemagne mais aussi en France. Ces entrées sur le marché du travail contribuent à réduire les tensions inflationnistes. Elles compensent la moindre progression de la population active. Si au sein de l’OCDE, la population en âge de travailler a commencé à diminuer, la population active (en emploi ou cherchant un emploi) continue à augmenter. Sa hausse est de 0,8 % en 2019, contre +0,5 % en 2015. Cette augmentation induit celle des créations d’emploi, +0,9 % en 2019. Les formes d’emploi atypiques, CDD, intérim, temps partiel, micro-entrepreneurs ainsi que la flexibilité jouent à l’encontre des augmentations salariales.

Le vieillissement de la population propice à l’augmentation des prix 

Le vieillissement démographique se traduit par l’augmentation de la proportion de retraités dans la population. Le nombre de consommateurs augmente plus vite que le nombre de producteurs, ce qui est normalement inflationniste.

 

Au sein de l’OCDE, les plus de 65 ans représentaient en 2019 20,4 % de la population totale contre 14,5 en 1998. Les retraités consomment plus de services et moins de produits industriels ; or les premiers ont une tendance à augmenter plus vite que les seconds et donc à nourrir l’inflation. En outre, un accroissement de la demande, butant sur une stagnation voire un déclin de la population active, ne peut qu’amener à une hausse des prix dans des secteurs où les gains de productivité sont faibles.

 

Le vieillissement pour le moment ne contribue pas à la hausse des prix. Les pouvoirs publics essaient de contenir non seulement les dépenses de retraite mais aussi les dépenses de santé en jouant sur les prix, les déremboursements, l’offre (numérus clausus qui a entraîné une faible progression des médecins en France). Les prix des services ont néanmoins eu tendance à augmenter dans les territoires à forte concentration de retraités qui sont, bien souvent, des zones de forte intensité touristique. 

Les oligopoles numériques, facteur potentiel d’inflation

La mondialisation et la digitalisation favorisent un processus de concentration sans précédent au sein de la sphère économique. La constitution d’oligopoles est par nature inflationniste. Les marchés sont de plus en plus verrouillés avec des barrières technologiques ou réglementaires.

 

En moyenne, au sein de l’OCDE, dans chaque grand secteur d’activité, les quatre plus grandes entreprises réalisaient, en 2015, plus de 62 % du chiffre d’affaires des vingt premières. Ce ratio était de 60 % en 2000.

 

Les oligopoles sont, par nature, inflationnistes, les producteurs s’entendant sur les prix. En outre, ces ententes freinent le progrès technique et donc les gains de productivité ce qui se traduit également par une augmentation des prix. 

 

L’impact sur les prix des oligopoles du numérique est difficile à apprécier en raison du caractère pseudo gratuit des services proposés aux utilisateurs d’Internet. La recherche, sur Google ou sur Wikipédia, ne donne pas lieu à un paiement direct. Les plateformes de services en agglomérant offre et demande (Airbnb, Uber) sont génératrices de baisses de prix. De même, le développement des ventes en ligne crée une pression déflationniste sur les autres réseaux de vente. 

Le protectionnisme et le retour des achats régionaux, deux facteurs inflationnistes

Les tensions commerciales entre les grandes économies tendent à se multiplier depuis cinq ans. La mise en place de droits de douane ou de majorations aboutit à une augmentation des prix et est donc inflationniste.

 

Par ailleurs, le retour à des chaînes de valeur régionales, impliquant une moindre utilisation de pièces, de composants, fabriqués dans les pays émergents à coûts salariaux faibles, devrait provoquer une hausse des prix. Les importations en provenance des pays émergents sont stables depuis 2012 au sein de l’OCDE, autour de 6,5 points de PIB.

 

Les mesures protectionnistes prises par les États-Unis et la Chine a eu peu d’effets sur les prix car ceux des produits industriels sont en baisse depuis plusieurs années. Les importateurs comme les exportateurs ont compensé l’augmentation des droits de douane par une réduction de leurs marges

L’absence de tensions sur les matières premières et l’énergie

Quand la croissance de l’économie mondiale dépassait 4 % par an, les tensions sur les matières premières et l’énergie étaient fortes. La crainte de pénuries générait des effets spéculatifs.

 

Avec le ralentissement de l’économie, avec le développement du pétrole de schiste, les peurs d’un manque de pétrole se sont estompées. La croissance économique est moins consommatrice d’énergie avec le poids croissant du secteur tertiaire.

La création de monnaie, un vecteur d’inflation

La masse monétaire a été multipliée par plus de trois en vingt ans sans que cela ne provoque en retour de choc inflationniste. De même, la baisse des taux d’intérêt et le passage en taux négatifs pour certaines banques centrales étaient censés favoriser l’inflation.

 

Plusieurs années de politiques monétaires non conventionnelles n’ont pas provoqué une hausse pérenne des prix contrairement aux objectifs annoncés. Le taux d’inflation reste en-deçà des 2 % au sein de l’OCDE. L’inflation sous jacente (inflation hors biens et services dont les prix sont volatils) avoisine au sein de l’OCDE 1 %.

 

Depuis la crise de 2008, tous les agents économiques ont augmenté leurs réserves de liquidité et leur taux d’épargne afin d’éviter d’être en difficulté en cas de survenue d’une nouvelle crise financière. Dans de nombreux pays, y compris les États-Unis, le taux d’épargne des ménages est en hausse. Par ailleurs, les banques comme les compagnies d’assurances ont dû accroître leurs fonds propres.

 

Le maintien de taux d’intérêt bas est de plus en plus interprété comme une cause-conséquence du maintien d’une faible inflation sur longue période. Les investisseurs ne croient pas à une hausse prochaine des prix et acceptent ainsi des taux d’intérêt très faible pour des échéances d’obligations de 10 à 30 ans. Le concept de japonisation de l’économie s’impose de plus en plus avec à la clef le cocktail suivant : faible taux inflation, faible taux d’intérêt, faible taux de croissance, faible taux de chômage. 

 

De nombreux facteurs devraient jouer actuellement en faveur de la hausse des prix mais ils sont défaillants pour le moment. Le facteur de l’emploi est celui qui sera le plus à même, dans les prochaines années, à débloquer la situation. La stagnation du taux de participation au marché de l’emploi pourrait générer des demandes de hausse de revenus professionnels. Le rejet d’un grand nombre de pays de jouer sur le volet de l’immigration pour accroître leur population active devrait favoriser, à terme, la hausse des prix. 

Partager cet article :