27.03.2019

Les épargnants dans le tunnel des taux bas

Epargne

Les taux des obligations d’État sont retombés à des niveaux très faibles au mois de février. L’Allemagne peut emprunter à dix ans à coût quasi nul. Les taux des livrets bancaires fiscalisés atteignent, en moyenne, 0,26 % en France. Le taux de rémunération des fonds euros des contrats d’assurance vie se situe entre 1,4 et 2,4 %, avec une moyenne autour de 1,7 %. 

 

Le ralentissement confirmé de la zone euro, en particulier celui de l’Allemagne, ainsi que le repli de l’inflation remettent en cause les projets de la Banque centrale européenne de remonter ses taux directeurs d’ici la fin de l’année. Ses responsables ont commencé à prévenir que cette première hausse serait sans nul doute différée, voire que des outils non conventionnels pourraient être utilisés.

 

Aux États-Unis, la Banque centrale pourrait également revoir à la baisse son programme de relèvement des taux.  Les institutions monétaires prennent leurs décisions en fonction notamment de l’objectif de 2 % pour l’inflation. Or, cet objectif, malgré le plein emploi dans de nombreux pays, est difficile à tenir. L’inflation sous-jacente, calculée en ne prenant pas en compte les biens et services subissant de fortes variations de prix, reste cantonnée au mieux à 1 %.

 

Les salaires augmentent peu empêchant la mise en place d’une spirale inflationniste. Les nouveaux modes de production, le recours accru aux travailleurs indépendants, la moindre capacité de mobilisation des syndicats expliquent la sagesse relative des salaires. La tertiarisation des pays avancés ne facilite pas l’agrégation des revendications sociales.

 

Le maintien d’une inflation réduite est également imputable à une forte concurrence. L’accélération du coût salarial unitaire ne conduit pas à une hausse plus rapide des prix, sans doute en raison de l’intensité de la concurrence, domestique et internationale. Les prix des produits industriels sont toujours orientés à la baisse en raison des fortes capacités de production disponibles des pays émergents et des gains de productivité que génèrent la robotisation et le digital. Le développement de la vente en ligne qui constitue un nouveau canal de distribution pèse également sur les prix. L’hypothèse de maintien d’une inflation sous-jacente faible dans la zone euro (autour de 1 %) est fort probable surtout si la hausse attendue du déficit commercial des États-Unis avec la politique budgétaire expansionniste, conduit à une appréciation de l’euro par rapport au dollar.

 

Dans ces conditions, les marges de manœuvre de la BCE sont faibles. Celle-ci est contrainte de ne pas augmenter ses taux directeurs afin d’essayer de relever l’inflation sous-jacente. Si les Allemands ont longtemps poussé en faveur d’une hausse des taux de peur d’une résurgence de l’inflation sur leur territoire, la stagnation de leur économie depuis le début du deuxième semestre 2018 change la donne.

 

La BCE ne s’interdit pas l’utilisation d’outils non conventionnels pour favoriser l’inflation et indirectement l’activité. Ainsi, dans un entretien au quotidien allemand Börsen-Zeitung, l’économiste en chef Peter Praet a indiqué qu’un point serait réalisé au mois de mars pour les prêts aux banques. Ces propos laissent suggérer que la BCE serait encline à lancer des prêts à long terme aux banques de la zone euro pour remplacer ceux d'un montant d'environ 750 milliards d'euros qui commenceront à arriver à échéance l'an prochain. Cette mesure est attendue par les banques italiennes et celles d'autres pays du sud de l'Europe. L’économiste de la BCE a indiqué que « nous devons surveiller de près la transmission de la politique monétaire au système bancaire ». Le Français Benoît Cœuré, autre membre du directoire de la BCE, a également mentionné la possibilité de nouvelles opérations de refinancement à long terme ciblée (TLTRO).

 

Dans ces conditions, le rendement de l’épargne financière dans la zone euro devrait rester contraint. Il faut néanmoins faire attention à certains amalgames et raccourcis. Ils sont au moins au nombre de trois :

  • Premièrement, il ne faut pas prendre pour argent comptant l’affirmation comme quoi l’épargne ne rapporte plus rien. En effet, comparer le rendement de l’épargne financière avec l’évolution des prix d’un panel de consommation constitué de carottes et de petits pois est peut-être parlant mais pas très opérationnel. Il faut comparer des biens de même nature. Ce qui compte, c’est le rendement comparé des différents placements. Laisser dormir son argent sur son compte courant est bien plus coûteux que de le placer même à 0,75 %. 
  • Deuxièmement, l’épargne repose sur le processus de l’accumulation, des intérêts composés, des dividendes réinvestis. C’est l’effet boule de neige de l’épargne. 
  • Troisièmement, épargner, c’est poursuivre un objectif, se protéger des aléas de la vie, préparer sa retraite, organiser sa succession.

 

Dans les années 70 et 80, du fait de l’inflation, les épargnants subissaient des taux de rendement réels négatifs. Ils perdaient bien plus qu’aujourd’hui. Ainsi, entre 1980 et 1982, le taux réel du Livret A était négatif de plus de 5 points quand, en 2018, il l’était d’un point. 

 

L’épargne est une renonciation à la consommation qui obéit à plusieurs facteurs. Les ménages épargnent par précaution, pour se préserver d’éventuels aléas. Ils épargnent en vue d’un investissement à venir, l’achat d’une maison ou d’une voiture, la réalisation d’un projet professionnel ou la réalisation d’un voyage, l’arrivée d’un enfant, etc. Ils peuvent également souhaiter placer de l’argent pour préparer leur future retraite ou pour se constituer un patrimoine qu’ils céderont à leurs héritiers.

 

Comme autre facteur, il faut ajouter l’aspect moral et social. On épargne car cela a du sens pour soi-même, pour ses proches et pour la société. La création du Livret A en 1818 répondait à un objectif de précaution mais aussi pédagogique et éthique. Les motivations de l’épargne sont donc multiples. La question de la rémunération n’est pas sans objet mais n’est pas la seule à entrer en ligne de compte dans la décision d’épargner. 

 

Face à une baisse du rendement, concrètement, les ménages peuvent décider soit de moins épargner, soit au contraire d’accroître leur effort d’épargne pour compenser la baisse des revenus financiers, soit changer de type de placement. 

 

Au sein de la zone euro, le taux d’épargne financière a plutôt tendance à diminuer. De 2014 à 2018, il est passé de 5,5 à 3 % du revenu disponible brut. Mais cette baisse n’est pas constatée en France où, au contraire, le taux d’épargne financière a plutôt tendance à augmenter. Il s’élevait à 5,4 % du revenu disponible brut au troisième trimestre 2018 contre 4,4 % au quatrième trimestre 2013. 

Pour l’ensemble de la zone euro, il est indéniable que les ménages ont, en partie, compensé la baisse du rendement de l’épargne financière par une augmentation des investissements immobiliers. Cette bascule est d’autant plus nette que le coût de l’endettement a été réduit par les faibles taux d’intérêt. La croissance des investissements immobiliers au sein des États membres de la zone euro a été de 3 % en 2018. En raison de cette évolution, le prix des maisons s’est accru de 22 % de 2014 à 2018 en zone euro. Le maintien des faibles taux d’intérêt, la volatilité des cours des actions et l’aversion aux risques des ménages devraient maintenir une forte pression sur le marché immobilier quand bien même sa rentabilité décline, les loyers ne pouvant pas suivre l’appréciation de la valeur des biens. 

 

En France, l’effet précaution et l’effet d’encaisse sembleraient être privilégiés. Les ménages augmenteraient leur flux d’épargne afin de maintenir constant le pouvoir d’achat de leur patrimoine.

 

Par ailleurs, l’envolée des cours de l’immobilier les conduit à mettre plus d’argent de côté. Dans les enquêtes d’opinion, les épargnants privilégient la sécurité et la liquidité par rapport au rendement tout en indiquant que cette dernière est insuffisante. La collecte positive en 2018 du Livret A, du Livret de Développement Durable et Solidaire (LDDS - ancien Codevi), mais aussi des livrets bancaires très faiblement rémunérés, en constitue la traduction. Par ailleurs, les dépôts à vue des ménages se sont accrus de 200 milliards d’euros en 10 ans et de 26 milliards d’euros en 2018 prouvant la préférence pour la liquidité des ménages mais aussi leur résignation face au faible rendement de certains placements. Les ménages épargnent toujours tout en faisant la grève des placements. 
 

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