24.10.2018

L'épargne retraite...

...au temps des réformes

Le projet de loi "Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises" (PACTE) est examiné par le Parlement depuis le début du mois de septembre. Il devrait être définitivement adopté d’ici la fin de l’année.

 

L’article 20 donne la possibilité au Gouvernement de modifier par ordonnance les produits d’épargne retraite. À travers cette refonte des dispositifs d’épargne-retraite, l’objectif poursuivi est de « préparer l’avenir et de financer les entreprises en fonds propres ». Les deux grands axes de la réforme sont l’harmonisation et la portabilité. Les produits existant dont le Corem seront maintenus. Le projet de loi prévoit simplement la constitution de deux gammes de produits, une à vocation collective et la seconde à vocation individuelle qui prendra le nom de Plan d’Épargne Retraite Individuel.

 

L’épargne-retraite, un encours de 220 milliards d’euros

L’encours de l’épargne-retraite s’élevait, en France, en 2016, à 219 milliards d’euros, soit moins que le Livret A (282 milliards d’euros) et qu’évidemment l’assurance vie (plus de 1 700 milliards d’euros). 12,7 millions de personnes détiennent un contrat de retraite supplémentaire en cours de constitution pour une population active de 30 millions. Les cotisations pour l’ensemble des produits d’épargne-retraite ont atteint, en 2016, 13,6 milliards d’euros.

 

Sur les 16 millions de pensionnés en France, seulement 2,4 millions percevaient des prestations issues d’un contrat de retraite supplémentaire. Fin 2016, les prestations servies par les suppléments d’épargne par capitalisation représentaient 2 % du total des pensions de retraite. Les sorties s’effectuent soit en capital soit en rente. 15 % des retraités touchent une rente viagère issue d’un produit d’épargne-retraite en plus de leur pension versée par les régimes par répartition. Les rentes moyennes sont d’un faible montant, de 75 à 190 euros par mois contre 1 350 euros pour les pensions des régimes obligatoires.

 

Chez nos partenaires, la capitalisation assure 10 à 15 % des revenus des retraités. Cette faiblesse de l’épargne-retraite s’explique par la primauté donnée à la répartition en 1945 et au taux élevé de remplacement (ratio entre les pensions perçues et les derniers revenus professionnels) en vigueur jusqu’à maintenant. La baisse de ce taux est programmée du fait de l’augmentation du nombre de retraités qui passera de 16 millions en 2018 à 25 millions en 2060. Cet accroissement est imputable tant à l’arrivée à l’âge de la retraite des larges générations du baby-boom qu’à l’augmentation de l’espérance de vie. Une diversification des revenus des retraités apparaît indispensable afin de pouvoir leur garantir un niveau de vie correct dans les prochaines années. Par ailleurs, la faiblesse de la capitalisation rejaillit sur le financement des entreprises qui sont contraintes de trouver des capitaux au-delà des frontières.

 

L’épargne retraite, un véritable labyrinthe 

L’épargne-retraite, c’est, à ce jour, au minimum 13 produits obéissant à des règles différentes. Ils sont régis par plusieurs codes (Code monétaire et financier, Code de l’assurance, Code du travail, Code général des impôts, etc.). Ainsi, les particuliers ou les entreprises peuvent être amenés à choisir entre le PERCO, l’article 39, l’article 82, l’article 83, le contrat Madelin, le contrat Madelin Agricole, le PERP, le Corem, la Préfon, le CRH, le Fonpel, le Carel ou le RMC (Retraite Mutualiste du Combattant).

Ces produits ont été créés au fil des ans sans réel plan d’ensemble.

 

Deux sous-ensembles doivent être distingués, les produits de nature professionnelle et les produits de nature individuelle. Le premier sous-ensemble regroupe le PERCO, les articles 39, 82 et 83 ainsi que les contrats Madelin. Il est assimilable à un deuxième pilier de retraite en retenant les définitions en cours chez nos partenaires européens. Le deuxième sous-ensemble comprend le PERP, la Préfon, le Corem, le CRH, le Fonpel et le Carel. Il correspond au 3e pilier. Le 2e pilier est essentiellement de nature collective et peut donner lieu à une contribution de l’employeur.
 

Le projet de loi PACTE ou les nouvelles frontières de l’épargne-retraite

 

Le Gouvernement entend favoriser les placements de long terme afin de faciliter le financement des entreprises. À cette fin, le projet de loi PACTE comporte des dispositions visant à encourager l’épargne retraite. Si l’orientation est bonne, certaines mesures peuvent néanmoins apparaître en contradiction avec les objectifs poursuivis. 

 

Deux grandes catégories de produits d’épargne-retraite sont prévues

Le Gouvernement a annoncé son intention de placer sous l’appellation Plan d’Épargne-retraite Individuel (PERI), le PERP, les contrats Madelin (qui est faussement un produit individuel) et les autres produits d’épargne individuel catégoriel (élus locaux, retraite du combattant...). Ce regroupement n’empêchera pas les différents produits de conserver certaines spécificités. Ainsi, avec les contrats Madelin, les indépendants continueront à bénéficier de leur régime fiscal spécifique.

 

Au niveau collectif, sous l'appellation Plan d’Épargne-retraite (PER), cohabiteront essentiellement le Plan d’Épargne Retraite Entreprise (article 83) et le Plan d’Épargne Retraite Collectif (PERCO). Ce dernier peut être alimenté par l’intéressement, la participation, l’abondement de l’employeur et les versements volontaires. Le premier également dénommé article 83, sera alimenté par les cotisations employeurs obligatoires ainsi que par d’éventuelles cotisations salariales et des versements volontaires. 

 

Afin de favoriser la baisse des coûts de gestion, le Gouvernement a décidé d’ouvrir ces produits aux assureurs, aux mutuelles et aux gestionnaires d’actifs. 

 

Une harmonisation des règles

Le Gouvernement a mis au cœur de sa réforme la transférabilité entre les différents produits. Aujourd’hui, la portabilité n’est que partielle entre produits. Certains contrats ne peuvent être transférés que dans un contrat strictement de même type : le PERCO, l’article 82 ou le PERP qui constitue un produit d’accueil pour de nombreux autres.

 

Le Gouvernement avec le rapprochement des règles veut imposer, sous réserve des dispositions qui seront prévues dans les ordonnances, une portabilité complète entre le PERP, le Corem, le Madelin, l’Article 83 et le PERCO. Ne seraient pas concernés les produits à prestations définies (articles 39) et le dispositif régi par l’article 82 du Code général des Impôts. 

 

Pour faciliter les transferts, le Gouvernement a prévu de réduire leurs frais à 3 %. Actuellement, pour les contrats d’assurance vie, dont relèvent les contrats de retraite supplémentaire, une indemnité de transfert peut être prélevée dans la limite de 5 % de la provision mathématique du contrat, lorsque le contrat a moins de 10 ans. Au bout de 10 ans, il n’y a pas de frais de transfert. Ce délai pourrait être ramené à 5 ans.

 

Les actifs liés aux produits d’assurance retraite seront cantonnés collectivement. Le cantonnement spécifique au PERP disparaît. Le dispositif de participation aux bénéfices pourrait être étendu à ceux qui sont en « décumulation » (en phase de liquidation).

 

La banalisation des versements volontaires

Le Gouvernement a décidé que tous les produits retraite bénéficieraient d’une possibilité de versements volontaires ouvrant droit au régime de déduction fiscale. Cette disposition ne concerne dans les faits que le PERCO. Les versements sur les articles 83 avaient été rendus possibles en 2010. L’avantage fiscal assorti aux versements n’est pas nouveau. En effet, ces derniers entreront simplement dans l’enveloppe de déduction fiscale prévue pour l’épargne-retraite.

 

L’harmonisation des différents modes de sortie

Les titulaires de produits retraite pourront opter, en ce qui concerne les versements volontaires, pour une sortie en capital ou pour une sortie en rente viagère. Pour le PERCO, la sortie en capital sera maintenue pour les sommes issues de l’épargne salariale. En revanche, pour les versements obligatoires effectués dans le cadre de l’article 83, il n’est pas prévu de sortie en capital.

 

Le déblocage anticipé pour achat de la résidence principale sera étendu à tous les produits. Aujourd’hui, il n’est possible que pour le PERCO. Le PERP dispose d’une sortie en capital pour les primo-accédants, mais au moment de la liquidation du produit. Cette sortie en capital ne sera ouverte que pour l’achat de la première résidence principale. La possibilité de sortie en capital au moment de la liquidation ne serait ouverte que pour les versements volontaires. Aujourd’hui, seul le PERCO et l’article 82 offrent une sortie globale en capital au moment de la liquidation. Les autres cas de déblocages anticipés seront également harmonisés. Ces déblocages peuvent intervenir en cas de décès du conjoint, de fin d’indemnisation du chômage, de faillite, etc.

 

Harmonisation fiscale sous forme de mille-feuille

Les dispositions fiscales ne sont pas encore connues. Au vu des informations fournies par le Ministère de l’Économie et des Finances, le projet de loi mentionne qu’un traitement fiscal plus favorable sera maintenu en cas d’acquisition d’une rente viagère. Dans les faits, un abattement de 10 % sera applicable, ce qui constitue le droit commun pour les rentes à titre gratuit. Ce régime est en vigueur pour le PERP ou le Contrat Madelin.

 

Il s’appliquera désormais aux sorties en rente liées aux versements volontaires du PERCO. À ce titre, ce produit pourrait cumuler quatre régimes fiscaux : exonération pour la sortie en capital liée aux versements de l’épargne salariale, imposition pour le capital constitué dans le cadre d’un versement volontaire, abattement en fonction de l’âge pour les rentes à titre onéreux constituées à partir des versements de l’épargne salariale et abattement de 10 % pour les rentes à titre gratuit constituées dans le cadre des versements volontaires.

 

Les articulations manquantes

La réforme de l’épargne-retraite à travers le projet de loi PACTE constitue une indéniable volonté des pouvoirs publics de simplifier et de rationaliser des dispositifs qui ont été créés bien souvent au fil de l’eau, par amendements, sans plan d’ensemble. En revanche, cette réforme intervient au moment même où la Commission de Bruxelles travaille sur un produit paneuropéen. Elle intervient surtout avant l’élaboration du projet de loi visant à instituer le futur système de retraite à points qui est censé remplacer les 42 régimes existants. Or, en fonction des paramètres choisis, les besoins en épargne-retraite seront différents.

 

Enfin, le Gouvernement n’a pas voulu s’engager dans une refonte des régimes à prestations définies (article 39) également appelés retraites chapeau. Au-delà des polémiques dont ils ont été à l’origine, ces régimes ont leur utilité. Leur non-conformité au droit européen en raison de la non-portabilité des produits proposés suppose donc une réforme que le Gouvernement se refuse pour des raisons éminemment politiques.

 

Le régime universel par points et l’épargne-retraite, quelle combinaison ?

La place dévolue à la capitalisation dépend des caractéristiques du futur régime de retraite à points. Aujourd’hui, les salariés sont couverts par leur régime de base et leurs régimes complémentaires jusqu’à huit fois le plafond de la Sécurité sociale, soit 317 856 euros annuels. Pour le futur système, un plafond à 3 ou 4 fois est avancé (119 196 ou 158 928 euros).

 

En fonction des plafonds choisis, l’intérêt de la capitalisation sera plus ou moins élevé.
 

Quand l’Europe souhaite s’occuper de retraite

 

Le projet de loi PACTE intervient au moment où le Parlement européen a été saisi d’un projet de la Commission européenne qui vise à instituer un produit d’épargne retraite européen. Afin de surmonter les problèmes liés à l’existence de nombreux produits au sein des États membres, la Commission a, en effet, présenté un projet de produit paneuropéen d’épargne-retraite individuelle (Pepp) au mois de juin 2017.

 

La Commission entend permettre aux 240 millions d’épargnants européens d’accéder à un futur complément de pension transparent et portable.

 

Son projet poursuit trois objectifs :

  • Développer le marché des retraites supplémentaires dit de « troisième pilier » afin de réorienter l’épargne des ménages vers des placements longs à l’échelle européenne ;
  • Résoudre les inégalités de pension, dans un contexte de réduction des retraites publiques et de transition démographique ;
  • Encourager la portabilité des retraites en créant un dispositif régi par des règles communes à tous les États membres.


La Commission considère qu’il serait trop complexe et trop long d’harmoniser tous les dispositifs existant en Europe. Le projet de règlement « Pepp » propose des règles standard sur les principales dispositions du plan de retraite, de sorte que les produits retraite répondant à l’appellation Pepp auront les mêmes caractéristiques de base quel que soit le pays de souscription et quels que soient les opérateurs autorisés par le superviseur européen.

 

Le Pepp prendrait la forme d’un produit de retraite individuel, souscrit à titre volontaire. Il n’aurait pas vocation à remplacer les plans de retraite professionnels proposés dans le cadre d’une entreprise ou d’une branche, mais le cas échéant à les compléter au titre du troisième pilier. La Commission incite les États membres à octroyer aux Pepp un allégement fiscal identique à celui accordé aux produits nationaux d’épargne-retraite individuelle, même dans les cas où les caractéristiques des Pepp ne satisfont pas à tous les critères nationaux en matière de réduction d’impôt. La Commission prévoit que l’épargnant pourra changer d’opérateur, tant à l’échelle nationale qu’au niveau transfrontalier, tous les cinq ans à un coût réduit.
 

La réforme de l’épargne-retraite, une révolution ?

 

Le Gouvernement espère avec les dispositions contenues du projet de loi PACTE augmenter, d’ici 2022, l’encours de l’épargne-retraite de 50 % en le faisant passer à 300 milliards d’euros. Cet objectif est louable mais difficile à atteindre.

 

Il est regrettable que le texte proposé au Parlement ne mette pas plus en avant la rente. En effet, un produit de retraite vise à couvrir les besoins des assurés jusqu’à leur décès et non fournir au moment de leur départ à la retraite un capital. Dans le premier cas, il s’agit d’un produit retraite, dans le second d’un produit d’épargne.

 

Pour réellement allonger la duration des placements, l’option rente est beaucoup plus efficace. La multiplication des sorties en capital nécessitera de la part des professionnels de conserver une forte liquidité et donc de privilégier des placements courts à faible rendement. 
 

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