17.10.2019

L’épargne mal orientée serait-elle l’ennemie de la croissance ?

Focus mondial

L’économie mondiale ne souffre pas d’un manque d’épargne mais plutôt d’un excès d’épargne mal orientée. 

 

Avec le vieillissement de la population, avec la montée des incertitudes, l’épargne tend à se renforcer au détriment de la consommation.

 

L’aversion aux risques se traduit par une prédilection aux produits dont le rendement ne peut, dans ses conditions, que baisser. La répression financière menée par les pouvoirs publics, visant à faire supporter aux épargnants une forme d’impôt implicite afin de financer les dépenses publiques, semble avoir été acceptée par les épargnants, voire être acclamée.

 

Le Livret A n’a-t-il pas collecté près de 15 milliards d’euros durant les huit premiers mois de l’année ? Les fonds euros de l’assurance vie représente toujours plus de 75 % de la collecte. Le patrimoine financier des ménages français n’est-il pas constitué à 60 % de produits de taux sans risque ?

 

Cette allocation fait le bonheur des États endettés. Le service de la dette a, ces dernières années, fondu comme neige au soleil.

Cette mauvaise allocation de l’épargne est en grande partie responsable du retard de croissance que connait l’Europe depuis une décennie. L’Europe se caractérise par le poids des actifs liquides et de taux dans le patrimoine des agents économiques. Les actifs sans risque (monnaie, obligations du secteur public) constituent 70 % des actifs financiers en Europe contre 60 % aux États-Unis.

 

Les actions cotées représentent 80 % du PIB en zone euro contre 120 % du PIB aux États-Unis. Pour les résidents, les actions cotées constituent 18 % du patrimoine et 30 % aux États-Unis. Les actifs liquides pèsent 220 % du PIB en zone euro contre 100 % aux États-Unis. 

 

L’Europe a pris du retard dans l’investissement au sein des secteurs porteurs. Cette situation pèse sur sa croissance. Du fait de l’effet cumulatif, le fossé tend à devenir assez large. L’aversion élevée aux risques constitue un handicap qui se traduit par la faiblesse du financement des entreprises par les actions.

 

L’épargne des ménages s’oriente en Europe vers les États, les obligations et l’immobilier quand, aux États-Unis, elle est plus fortement investie dans les entreprises. Ce n’est pas le dynamisme entrepreneurial qui est en cause mais plutôt le rapport aux risques et aux technologies qui est différent de part et d’autre de l’Atlantique. 

 

Ce phénomène n’est pas qu’européen. Il est mondial. La mauvaise allocation de l’épargne pourrait expliquer la baisse graduelle de la productivité et donc celle de la croissance potentielle de l’économie mondiale. De 1996 à 2018, la croissance de la productivité par tête, calculée sur une période de 5 ans, est passée de plus de 3 % à 1,8 %. Certes, cette contraction est également liée à la tertiarisation de l’économie. Le secteur des services est, par nature, moins porté aux gains de productivité que l’industrie.

 

Du fait de cette diminution des progrès de la productivité et du vieillissement de la population, la croissance potentielle de l’économie mondiale qui se situait entre 3,5 et 4,5 % de 1996 à 2007 est désormais de 2,5 %. De 1996 à 2019, le taux d’épargne privée (taux d’épargne – déficits publics), à l’échelle mondiale, est passé de 26 à 29,3 % du PIB. 

 

Cette hausse de l’épargne nourrit celle des prix de l’immobilier. Le prix des maisons a été multiplié par 2,5 aux États-Unis et par 2 en zone euro de 1999 à 2019. L’immobilier commercial sur la même période s’est accru de 150 % aux États-Unis et de 50 % en zone euro. Il a, en revanche, baissé au Japon de 50 % du fait du processus de déflation mais les prix avaient fortement progressé au début des années 90. En Chine, l’épargne abondante, 45 % du PIB, sert à financer des investissements en construction dont une part non négligeable sont inutiles (habitations et centre commerciaux vides, infrastructures surdimensionnées). Les investissements en construction atteignent 30 % du PIB en 2019 contre 25 % en 1999. 

 

L’excès d’épargne en Allemagne et aux Pays-Bas ne finance pas les entreprises, ni même les déficits des partenaires européens. Cette épargne est placée aux États-Unis sous forme d’obligations du Trésor. L’excédent extérieur de l’Allemagne et des Pays-Bas n’est plus la contrepartie des déficits extérieurs des autres pays de la zone euro. Il en résulte que la zone euro dégage un excédent courant de plus en plus important qui est pointé du doigt par Donald Trump. Cet excédent se situe entre 2 et 3 % du PIB. Sans l’Allemagne et les Pays-Bas, la zone euro serait déficitaire. 

 

Dans la zone euro, hors Allemagne et Pays-Bas, l’épargne est préemptée pour financer les déficits publics. Cette affectation pourrait être utile si elle s’accompagnait d’un accroissement de l’investissement public mais cela n’est pas le cas. Ce dernier s’élève à 2,8 % du PIB en 2019 contre 4 % avant la crise de 2008. 

 

Une meilleure allocation de l’épargne suppose que les pouvoirs publics réorientent également leurs dépenses en diminuant celles liées au fonctionnement et en favorisant l’investissement. Par ailleurs, les épargnants doivent opter pour des placements longs sous forme notamment d’actions. Ils doivent ainsi accepter une prise de risques accrue. En France, cela pose le problème du devenir des fonds euros et des livrets réglementés dont les taux sont totalement déphasés des réalités du marché monétaire.

 

Le redressement de la croissance potentielle de l’économie suppose l’obtention de gains de productivité. Ceux-ci sont plus difficilement réalisables au sein de pays tertiarisés.

 

Actuellement, le digital, en supprimant les emplois occupés par les classes moyennes, ne contribue pas à l’augmentation de la productivité. En effet, les nouveaux emplois sont souvent à faible qualification. Ce sont des emplois de service présentiel (services à la personne, tourisme) et de services liés à l’essor des centres de logistiques (magasiniers, chauffeurs). L’obtention de gains productivité passe par plus de recherche et donc par une prise de risques accrue. 
 

Partager cet article :