Réforme des retraites, état des lieux au 13 décembre 2019
les grandes lignes du futur projet de loi de réforme des retraites
Le Premier Ministre, Edouard Philippe, a dévoilé mercredi 11 décembre les grandes lignes du futur projet de loi de réforme des retraites. Ce dernier devrait être présenté le 22 janvier prochain en vue d’une discussion, à partir de la fin du mois de février, au Parlement. Cela signifie que celle-ci commencera avant les élections municipales, l’adoption définitive du texte n’intervenant qu’après. Compte tenu de l’examen obligatoire du Conseil d’Etat avant la présentation du projet de loi en Conseil des Ministres, le texte devrait être finalisé d’ici la fin du mois de décembre.
Avec son intervention au Conseil Economique, Social et Environnemental ainsi qu’avec celle aux 20 heures deTF1, le Premier Ministre a souhaité, après une semaine de grève dans les transports publics, reprendre la main en s’attelant en priorité à préciser les dates d’entrée de la réforme et à proposer des voies de discussion au sein de la fonction publique. Il a été, plus elliptique au sujet des régimes spéciaux. Ce choix est certainement dicté par la volonté d’éviter une cristallisation des oppositions. En-dehors des dates d’entrée de la réforme, il a retenu les propositions de Jean-Paul Delevoye. Il a, ainsi, réaffirmé son souhait d’imposer un âge d’équilibre pour le système universel à 64 ans.
Sans surprise et comme lors des précédentes réformes, le Premier Ministre a commencé son intervention en répétant l’attachement indéfectible de la nation au régime par répartition. Il a inscrit sa démarche dans le prolongement de celle des pères fondateurs de la Sécurité sociale. Il a précisé que la refondation de la couverture retraite est devenue indispensable afin, à ses yeux, de « corriger les injustices » et d’adapter le système « aux nouvelles trajectoires de carrière ».
Les générations concernées
Le Premier Ministre a décalé de 1963 à 1975 l’année de la première génération qui serait concernée par la réforme. De ce fait, ce n’est qu’à partir de 2037 que partiront les premiers retraités ayant une partie de leur pension issue du régime universel.
La génération 2004 sera la première à être intégralement concernée par le régime universel par points.
Les générations se situant entre 1975 et 2004 disposeront de pensions calculées selon les anciennes et les nouvelles bases.
La génération 75, qui prendra sa retraite vers 2037, aura 70 % de sa retraite calculée selon l’ancien système et 30 % dans le nouveau.
Ce lissage a pour objectif de sortir du débat de la clause du grand père. Les actifs âgés de plus de 44 ans sont de fait exclus de la réforme, soit plus 15 millions d’actifs sur un total de 30 millions. Conséquence de ce report, le Premier Ministre (né en 1970) échappe à la réforme mais pas Emmanuel Macron (né en 1977).
L’instauration du régime par points fera-t-il des perdants en fonction de la date de naissance. Est-ce que celles et ceux qui sont nés après le 1er janvier 1975 seront pénalisés par rapport à ceux nés avant ? Sur le sujet, la réponse est loin d’être unique. Tout dépend des règles de basculements et des situations individuelles.
Les fonctions publiques, revalorisation des rémunération et prise en compte de la pénibilité
Le Premier Ministre s’est engagé à maintenir le niveau des pensions des enseignants. Cette garantie sera fixée par la loi. Avant la fin du quinquennat, des revalorisations nécessaires pour maintenir le niveau des pensions seront prévues avec un début d’application dès 2021.
Au niveau de la fonction publique hospitalière, le Gouvernement adaptera les seuils sur la reconnaissance de la pénibilité liée au travail de nuit, en lien avec la réalité de leur rythme de travail effectif. Cela permettra à près d’un quart des aides-soignantes à l’hôpital de partir plus tôt à la retraite. Un nouveau dispositif permettant le financement d’un temps partiel sans perte de revenu en fin de carrière pour les aides-soignantes qui le solliciteraient sera institué.
Les régimes spéciaux, du temps au temps
S’agissant des régimes spéciaux ou de ceux qui ont des âges dérogatoires, le Premier Ministre a indiqué que des dispositions spécifiques seront prises pour adapter les âges de départ à la retraite et le chemin de convergence des dits régimes. Il a admis à demi-mot le principe de la clause du grand père pour la SNCF en faisant référence à la réforme précédente.
En 2018, le gouvernement a fait adopter un nouveau cadre pour la SNCF qui prévoit que tous les cheminots embauchés avant le 1er janvier 2020 conservaient leur statut. Or, celui-ci intègre par nature la couverture retraite. Le représentant de la CFDT a demandé l’application de la clause du grand père comme condition sine qua non du retrait de son organisation du mouvement de grève actuel.
Dans tous les cas, la transition sera longue. Avant une éventuelle adoption de la clause du grand père, seuls les salariés nés à partir de 1980 (pour ceux qui liquident leurs droits à 57 ans) et 1985 (pour ceux qui partent à 52 ans) seraient concernés.
Le débat passionnel sur l’âge d’équilibre
Le Premier Ministre a repris à son compte l’introduction d’un âge d’équilibre à 64 ans. Il a privilégié la notion d’âge d’équilibre à celle d’âge pivot. Pour inciter les Français à travailler plus longtemps, un mécanisme de décote et de surcote serait ainsi prévu.
L’âge d’équilibre de 64 entrerait en vigueur en 2027. L’introduction serait progressive à partir de 2022. Tous les actifs partant à la retraite au-delà de 2022 sont susceptibles d’être concernés par ce relèvement. Cela concernera les générations nées après 1960. Il est fort à parier que le dispositif d’âge d’équilibre donnera lieu à négociation et à modification et qu’il ne sera pas conservé en l’état. Un report de plusieurs années avec une meilleure prise en compte de la pénibilité est envisageable.
Le concept d’âge d’équilibre s’apparente à celui mis en œuvre depuis le 1er janvier 2019 au sein de l’AGIRC/ARRCO. L’âge d’équilibre est le pendant de l’abandon de la durée de cotisation qui est au cœur des régimes par annuité actuellement en vigueur.
En cas de durée inférieure, une décote est appliquée et inversement, en cas de dépassement du nombre de trimestres exigé, l’assuré bénéficie d’une surcote. La durée de cotisation est aujourd’hui de 42 ans et devrait atteindre 43 ans pour la génération 1973. L’âge d’entrée sur le marché du travail est, en 2019, en moyenne, de 22 ans, ce qui conduit à un âge de retraite à taux plein de 65 ans. L’âge de 64 ans est un an au-dessus de l’âge effectif de départ au sein du régime général. Selon le Conseil d’Orientation des Retraite, l’atteinte d’un âge de départ à 64 ans est un élément clef pour le bouclage financier du ou des régimes de retraite.
Dans un système par points, la tentation des assurés pourrait être de partir dès 62 ans ce qui pourrait générer tout à la fois un surcroît de dépenses et le versement de petites pensions. En Suède, les autorités confrontées à la grogne des retraités ayant de faibles pensions pensent relever l’âge à partir duquel il est possible de liquider ses droits. Pour compenser cet âge d’équilibre, le Premier Ministre a affirmé que la pénibilité au travail serait mieux prise en compte, en particulier pour les personnes qui sont en service la nuit.
Le dispositif de carrière longue qui permet à ceux qui ont commencé tôt de partir avant l’âge légal serait adapté au régime par points. Ainsi, les personnes qui ont commencé à travailler avant 20 ans, pourront continuer de partir deux ans avant les autres tout comme les personnes qui exercent des métiers usants. Le compte pénibilité sera ouvert à la fonction publique et en particulier à l’hôpital. Le seuil du travail de nuit, afin que davantage d’agents puissent bénéficier d’un départ anticipé.
La valeur du point
Edouard Philippe a indiqué que « la loi donnera des garanties incontestables sur la valeur du point ». Il a précisé que les partenaires sociaux seront appelés à fixer la valeur du point et son évolution, sous le contrôle du Parlement. Il a retenu le principe d’une indexation du point en fonction du salaire et non des prix, ce qui est un gage de maintien du niveau de vie.
Un minimum de pension fixé à 85 % du SMIC
Comme cela avait été mentionné dans le rapport de Jean-Paul Delevoye, la pension minimale est fixée pour les assurés à 85 % du SMIC, soit 1000 euros en 2019.
Mesures en faveur des femmes et des familles
Le Premier Ministre a prévu que les ménages ayant au moins trois enfants bénéficient d’un dispositif spécifique de revalorisation de pension. Au-delà des 5% par enfant prévu par le rapport Delevoye, les parents de plus de trois enfants auraient le droit à une majoration de 2 % supplémentaires.
De ce fait, un enfant donnerait donc droit à une majoration de 5 %, deux de 10 %, trois de 17 % et quatre de 22 %.
Le rapport de Jean-Paul Delevoye prévoyait, en effet, qu’une majoration de pension de 5 % soit accordée dès le premier enfant à la mère sauf choix contraire des parents. Les familles de 3 enfants perdaient, en contrepartie, la majoration de 10 % applicable à toutes les pensions.
Le Premier Ministre a annoncé que les femmes qui choisiraient d’arrêter de travailler pour élever leurs enfants jusqu’à l’âge de 6 ans à partir du 3ème bénéficieraient de de l’assurance vieillesse.
Edouard Philippe a également confirmé que le système de réversion garantira au conjoint survivant 70 % des ressources du couple.
Les professions libérales, une convergence sur 15 ans des taux de cotisation
Pour les professions libérales, le Premier Ministre a indiqué que la convergence des cotisations serait progressive avec un horizon fixé à 15 ans. Pour les réserves, il a rappelé les préconisations de Jean-Paul Delevoye. Ce dernier avait mentionné que les caisses des professionnels concernés pourraient les conserver (en partie ou pas, le Premier Ministre n’a rien dit sur le sujet) pour accompagner la transition vers le système universel.
Cela concernerait les auxiliaires médicaux, avocats, et les médecins concernés. Le Premier Ministre a annoncé qu’il n’y aurait « pas d’hold-up, pas de siphonnage pour combler tel ou tel trou, tel ou tel déficit ».
La carte des perdants et les gagnants, un jeu complexe
La carte des perdants et des gagnants donne lieu à une polémique sur la fiabilité des simulateurs.
Compte tenu du nombre de données à intégrer liées à l’âge, la carrière professionnelle, les charges de famille, l’âge de départ, la réalisation de modèle de calculs des pensions est d’une rare complexité. Il faut intégrer d’importants éléments individuels pour avoir une vision juste du montant potentiel de la retraite.
En l’état actuel des informations fournies par l’exécutif, il est difficile de prédire des montants évaluatifs de pension.
Les générations nées avant 1975 sont-elles gagnantes et celles nées après les perdantes ?
Dans les faits, la barrière de la génération n’est pas aussi nette car les anciennes règles resteront en vigueur pour toutes les années professionnelles accomplies avant 2022. La génération 2004 sera la première à être à 100 % dans le nouveau système.
Le régime par points est favorable aux personnes qui dans l’ancien système avait des emplois dont les rémunérations ne permettaient d’acquérir des trimestres. En revanche, il peut pénaliser ceux qui connaissent des ascensions en fin de carrière. Le minimum garanti avantagera ceux qui ont des carrières incomplètes. L’âge d’équilibre favorisera ceux qui étaient contraints d’aller au-delà de cet âge pour avoir une retraite à taux plein.
Au-delà de ces considérations, le système dépend évidemment de la valeur donnée au point. Dans le système actuel, le montant de la pension du régime de base et des régimes alignés était conditionné par l’évolution du plafond de la Sécurité sociale fixé chaque année, par les règles d’indexation des salaires de référence et par le nombre de trimestres validés. Le changement des règles d’indexation, à partir de 1993, a érodé de manière non négligeable le montant des pensions, de manière assez indolore. En s’engageant à indexer le point sur le salaire moyen, le Premier Ministre mettrait ainsi un terme à un processus engagé il y a 27 ans.
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