Le dilemme de l’indexation des pensions
Loi de financement pour la Sécurité sociale de 2019
Dans le cadre de la loi de financement pour la Sécurité sociale de 2019, le Gouvernement a décidé de revaloriser de 0,3 % les pensions, soit un niveau inférieur à celui de l’inflation constatée en 2018 (1,8 %), entraînant de la sorte une baisse du pouvoir d’achat des retraités.
Cette mesure devait être initialement reconduite en 2020. Le Conseil constitutionnel, au mois de décembre 2018, avait annulé cette reconduction sous prétexte qu’une loi de finances ne peut pas engager un Gouvernement sur plusieurs années. Après la crise des « gilets jaunes », le Président de la République a annoncé l’abandon partiel de la sous-indexation.
Le projet de loi de la Sécurité sociale pour 2020 prévoit ainsi un dispositif d’actualisation des pensions différencié en fonction de leur montant. En cas d’adoption de ce texte, 12 millions de retraités dont les pensions brutes ne dépassent pas deux mille euros devraient bénéficier l’année prochaine d’une revalorisation de leurs pensions de base à hauteur de l’inflation. Celle-ci se substitue à la revalorisation de 0,3 % initialement prévue. Les titulaires de petites pensions d’invalidité et les bénéficiaires des mécanismes de soutien aux petites retraites (minima de pension notamment) profiteront de cette mesure. Compte tenu de l’inflation actuelle, la revalorisation devrait être de 1 % en 2019. Les pensions des retraités se situant au-dessus de ce seuil ne seront réévaluées, en revanche, que de 0,3 % provoquant une perte de pouvoir d’achat de 0,7 %. Pour éviter un effet de seuil autour du seuil des 2 000 euros, un dispositif de lissage a été prévu.
L’indexation des pensions est toujours un sujet extrêmement sensible
Que ce soit dans le système actuel ou dans le futur régime universel, la question de l’indexation des pensions et des éléments permettant son calcul (salaire de référence ou points) est cruciale tant pour déterminer le niveau de vie des retraités que pour l’équilibre des finances publiques. Les règles d’indexation ont fait l’objet de nombreuses modifications lors de ces quarante dernières années.
Les pouvoirs publics ont joué sur toutes les variables pour l’actualisation des pensions, du changement des indices de référence (salaire moyen ou prix), aux dates d’application en passant par les modalités d’effet (clause de rattrapage).
L’indexation des pensions un sujet éminemment politique
Pour éviter que le montant des pensions ne subisse l’érosion de l’inflation, le principe de la revalorisation a été introduit par la loi du 23 juillet 1948. Les revalorisations interviennent majoritairement par voie réglementaire. Ce fut le cas jusqu’en 1986, excepté dans certains cas où le législateur a estimé devoir décider lui-même le taux de revalorisation comme en 1949 et 1951. De 1987 à 1992, l’indexation des pensions a été fixée par la loi du fait d’une décision du Conseil d’État considérant que l’absence de décret définissant l’indice de revalorisation empêchait le Gouvernement de retenir l’indice des prix comme nouvelle référence.
Depuis 1993, les revalorisations successives ont à nouveau été fixées par arrêté, excepté de 1999 à 2003, années durant lesquelles le dispositif de revalorisation a été régi par les lois de financement de la Sécurité sociale.
La danse perpétuelle des dates d’actualisation
Concernant la date d’application, la loi de 1948 précitée prévoyait que la revalorisation intervienne au 1er avril de chaque année. À compter de 1974, les pouvoirs publics ont décidé d’effectuer la revalorisation en deux fois, la première le 1er janvier et la seconde le 1er juillet.
La loi du 22 juillet 1993 qui a lancé la vague des réformes des retraites a prévu que la date d’actualisation était de nouveau le 1er janvier de chaque année. La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2009 a porté cette date au 1er avril. En 2014, un nouveau report est décidé au 1er octobre. Le Gouvernement d’Édouard Philippe décide finalement de retenir le 1er janvier.
Ces reports successifs permettent de réaliser des gains sur le montant des pensions distribuées.
Des salaires au prix
Le législateur entendait, dès 1948, donner « des garanties positives tout en ne compromettant en rien l’équilibre financier ». Il fut ainsi décidé de lier la revalorisation des pensions aux salaires qui servaient de base aux cotisations encaissées. L’indice de référence a ainsi été fixé sur l’évolution du salaire moyen des assurés. C’est en 1965, par décrets, que fut défini de manière précise le mode de calcul de l’indice de référence. Le salaire annuel moyen des assurés correspondait au salaire qui entre en compte pour le calcul des cotisations, à savoir le salaire-plafond soumis à cotisations.
Le calcul s’effectuait en fonction du montant moyen des indemnités journalières de l’assurance-maladie servies au cours de la période courant du 1er janvier au 31 décembre de chacune des années de référence. Le décret du 29 décembre 1982 a supprimé la référence au salaire moyen plafonné des assurés sociaux, pour retenir le salaire brut moyen annuel par tête, versé par les entreprises non financières non agricoles, prévu pour l’année considérée par le rapport annexé à la loi de finances.
Après annulation de ce décret en 1982 par le Conseil d’État en 1986, le Gouvernement de Jacques Chirac a décidé d’indexer à compter de 1987 les pensions en fonction de l’indice des prix. Dans les faits de 1983 à 1992, la revalorisation a été inférieure à l’inflation du fait que les pouvoirs publics n’avaient pas fixé d’indice de référence.
À partir de 1994, les pensions ont été revalorisées en fonction de l’indice prévisionnel des prix à la consommation (hors tabac) déterminé par l’Insee.
Depuis le 1er janvier 2004, la revalorisation des pensions est identique pour les régimes de base, les régimes alignés et la Fonction publique. Des ajustements sont opérés en fonction de l’évolution réelle des prix. En 2014 comme en 2016, les pensions n’ont pas été indexées. La perte de pouvoir d’achat a néanmoins été limitée en raison de la faible inflation.
Compte tenu du montant des pensions, 325 milliards d’euros en 2018, les règles d’indexation sont très importantes pour l’équilibre du régime des retraites. Ainsi, une indexation complète au 1er janvier 2019 aurait coûté aux caisses plus de 5 milliards d’euros.
En période de faible croissance et d’évolution lente de la masse salariale, son coût devient très visible. Tous les pays tentent d’en limiter ses effets. La France avait engagé un mouvement en 1993 en abandonnant l’indexation sur le salaire moyen. Depuis, de nombreux pays ont suivi. À terme, cette indexation essentiellement par les prix posera un réel problème de niveau de vie. L’impact le plus important est sur la valeur du point ou sur les salaires de référence avec à la clef un effet ciseau.
En effet, les retraités consomment essentiellement des services dont les prix sont fonction des salaires. Dans le cadre de la réforme pour l’instauration du futur régime universel, la question d’une modification des règles d’indexation a été avancée afin d’éviter à terme la paupérisation d’une part croissante de la population retraitée.
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