La retraite et les jeunes
Le regard porté par les jeunes adultes sur notre système de protection sociale
Se projeter à plus de 40 ans est un exercice très difficile surtout pour un étudiant ou pour une personne qui commence à travailler. Penser à la retraite à 20 ou à 25 ans n’est, sans nul doute, pas naturel.
Pour autant, les jeunes ne peuvent pas échapper au débat sur ce sujet. Par ailleurs, ils sont directement concernés par les mesures prises aujourd’hui. En outre, ils sont et seront impactés dans leur vie professionnelle par les choix qui seront effectués. Quel montant de la richesse nationale faut-il consacrer aux aînés ? Faut-il ou non développer de l’épargne retraite ?
Dans une récente étude consacrée au regard porté par les jeunes adultes sur notre système de protection sociale, le sociologue Adrien Papuchon notait, que « tout se passe comme si les jeunes […] appréhendaient une dégradation de leur situation sociale ou doutaient de la capacité du système à assurer à l’avenir des prestations suffisantes pour faire face à la pauvreté » (A. Papuchon - 2018).
L’analyse des résultats de l’enquête du Cercle de l’Épargne ainsi que ceux de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES - rattachée au Ministère des Solidarités et de la Santé), confirme l’existence d’une défiance des jeunes vis-à-vis du système de retraite.
Les jeunes moroses quand ils pensent à leur retraite
En 2016, la DREES a mis en évidence le fait que près de 3 jeunes de moins de 25 ans sur 4 se sentaient préoccupés par l’avenir du système des retraites.
Selon l’enquête du Cercle, 67 % des 18-24 ans et 75 % des 25-34 ans estiment majoritairement que les pensions qui leur seront servies seront insuffisantes pour vivre correctement à la retraite.
Si le pessimisme est généralement de mise en France, les jeunes générations affichent un regard encore plus critique sur la pérennité de notre système de retraite.
Ainsi, les résultats précités font écho à la crainte exprimée par ces classes d’âge d’être la génération sacrifiée et de ne pas être en mesure de bénéficier de pension. Quand 72 % des Français estimaient, dans l’enquête 2016 du Cercle de l’Épargne, qu’il existe un risque réel de faillite du régime général de retraite à dix ans, ils étaient 78 % parmi les 18-24 ans et même 83 % parmi leurs aînés de 25-34 ans à partager cette crainte.
L’idée répandue est que les générations précédentes auront tout pris. Ce jugement méconnaît le principe même de la répartition mais illustre le sentiment de défiance partagé par de nombreux jeunes.
86 % des 18-34 ans pour la mise en place d’un régime universel de retraite
Au regard de leur jugement sévère sur le système actuel de retraite, il n’est guère surprenant que les jeunes de 18 à 34 ans soient à 86 % pour une remise à plat du système de retraite. Les jeunes, comme l'ensemble des Français, citent en priorité la mise en place d’un régime universel prenant en compte certaines particularités afin notamment de prendre en compte la pénibilité au travail. Cette solution recueille même le soutien de près de 6 jeunes de 18-24 ans sur 10 contre respectivement 48 % de la population française.
L’introduction d’un régime universel pur, dans lequel les pensions reposeraient exclusivement sur les cotisations versées durant sa vie active, est moins populaire chez les plus jeunes qui ne sont que 28 % à citer cette piste de réforme. En revanche, la tranche d’âge précédente, regroupant les 25-34 ans, plus intégrée dans le monde du travail et plus autonome, aspire à davantage d’équité et peine à se départager entre les deux formules du régime universel proposées.
Les jeunes hostiles à l’introduction d’un « âge d’équilibre » ?
Si les jeunes sont majoritairement favorables à la mise en place d’un régime de retraite universel permettant, selon la promesse présidentielle qu’« un euro cotisé donne les mêmes droits pour tous », ils craignent comme l’ensemble des Français que derrière cette mesure se cache la volonté de retarder l’âge effectif de départ à la retraite ou une réduction à terme des pensions.
De fait, le report de l’âge de la retraite constituerait l’objectif premier du Gouvernement pour 45 % des sondés âgés de 18 à 24 ans et 43 % des 25-34 ans (contre 37 % en moyenne chez les Français). Cette crainte décroît progressivement avec l’âge du fait certainement que les actifs proches de l’âge de la retraite considèrent à tort ou à raison pouvoir passer entre les mailles du filet et échapper à la réforme.
L’hostilité des jeunes et des jeunes actifs à l’égard d’un éventuel report de l’âge de départ à la retraite est d’autant plus forte que 90 % des 18-24 ans et 86 % des 25-34 ans estiment qu’il n’est pas nécessaire.
Près d’un jeune sur deux considère même qu’il est possible de réintroduire la retraite à 60 ans. Ils sont 47 % parmi les 18-24 ans à le penser et même 51 % pour leurs aînés. Par conséquent, parmi les annonces formulées par Jean-Paul Delevoye, Haut-Commissaire à la réforme des retraites, le 18 juillet 2019, celle en faveur de l’introduction d’un « âge d’équilibre » pourrait constituer un point de fixation pour les moins de 35 ans.
En effet, si conformément aux engagements présidentiels, l’âge légal de départ à la retraite restera fixé à 62 ans, le Haut-Commissaire à la réforme des retraites souhaite faire de ce seuil symbolique l’âge minimum de départ à la retraite et préconise d’instituer un âge dit « d’équilibre » à partir duquel les actifs pourraient partir à la retraite sans subir de décote qu’il propose de fixer à 64 ans. Depuis, le Président de la République a indiqué qu’il n’était pas hostile à la réintégration de la durée de cotisation en lieu et place de l’âge pivot. Affaire à suivre.
54 % des 18-24 ans épargnent pour améliorer leur situation à la retraite
La capacité d’épargne en vue de la retraite augmente avec l’âge. Les jeunes actifs souhaitent avant tout acquérir leur résidence principale et doivent faire face à des dépenses pré-engagées importantes. Cependant, 54 % des 18-24 ans et 58 % des 25-34 ans déclarent placer de l’argent dans un produit d’épargne pour améliorer leur retraite.
Pour l’ensemble de la population, ce taux est de 57 %. Les jeunes semblent adapter leur comportement à leur appréciation du système de retraite. Intégrant sa déliquescence, ils sont dans l’esprit de mettre de l’argent de côté dans cette finalité.
Une étude de la DREES de 2018 confirme ces résultats. Ainsi, deux jeunes sur trois âgés de 18 à 24 ans considèrent qu’ils auront, une fois à la retraite, un niveau de vie « moins bon » que celui de l’ensemble de la population.
Parmi eux, 28 % considèrent même que leur niveau de vie futur sera « bien moins bon » que celui des Français pris dans leur globalité. La tranche d’âge supérieure est encore plus pessimiste puisqu’ils sont 69 % à porter ce jugement négatif sur leur niveau de vie futur.
Le niveau de vie des retraites est supérieur de plus de 5 points à celui de l’ensemble des Français.
Cependant, dans son dernier rapport, le COR admet qu’en raison des réformes successives adoptées au cours des 25 dernières années, le niveau des pensions devrait baisser et qu’à horizon 2025-2030, le niveau de vie des retraités serait inférieur à celui de l’ensemble de la population. Il atteindrait, selon les scénarios retenus, entre 91 % et 95 % en 2040 puis entre 78 % et 86 % en 2070 de celui de l’ensemble des Français.
Les jeunes privilégient l’immobilier pour préparer leur retraite
Les jeunes partagent avec le reste de la population, l’attachement à la pierre. Comme l’ensemble des Français, ils sont 67 % parmi les 18-24 ans à considérer qu’être propriétaire de son logement constitue la meilleure façon de préparer financièrement sa retraite. À noter toutefois que l’importance accordée à l’acquisition de sa résidence principale tend à se réduire avant de s’accroître à nouveau à l’approche de la retraite.
Ainsi, 63 % des actifs âgés de 25 à 34 ans citent cette solution et seulement 58 % pour la tranche 35-49 ans.
La difficulté qu’éprouvent les plus jeunes à se loger peut certainement expliquer l’importance qu’ils accordent à la détention de leur résidence principale.
Par ailleurs, leurs placements, généralement peu diversifiés, sont principalement constitués de produits d’épargne défiscalisée et d’épargne logement, dans des proportions plus importantes que la moyenne des Français.
Ainsi, début 2018, 86,3 % des moins de 30 ans détenaient un livret défiscalisé soit plus de 3 points que l’ensemble de la population (83 %) et 36,2 % un produit d’épargne logement (32,7 % en moyenne). En revanche, seuls 19,3 % des jeunes étaient propriétaires de leur résidence principale contre 57,8 % pour l’ensemble de la population.
Avec l’âge, les actifs tendent à davantage diversifier leur épargne et misent par conséquent sur d’autres dispositifs pour leur retraite. Néanmoins, la pierre reste au cœur des solutions privilégiées à travers le recours de l’immobilier locatif. Citée par 35 % des 18-24 ans et 36 % des 25-34 ans, cette solution gagne par ailleurs du terrain jusqu’à la cinquantaine recueillant 40 % de citation chez les 35-49 ans avant de retomber à 23 % à partir de 50 ans.
Les plus jeunes, comme les seniors, acquis à la capitalisation ?
La capitalisation n’est plus un tabou, et recueille le soutien d’une majorité de Français toutes tranches d’âge confondues.
Cependant, l’adhésion à la capitalisation est encore plus marquée chez les jeunes générations avec respectivement 63 % de citations parmi les 18-24 ans (dont 51 % pour un régime mixte et 12 % favorables à un régime en capitalisation pure) et 58 % parmi les 25-34 ans (respectivement 46 % et 13 %) contre 57 % en moyenne chez les Français.
Le fait qu’ils soient plus nombreux que les 35-65 ans à soutenir cette solution tient sans doute au fait que ces derniers ayant plus fortement contribué par leurs cotisations au régime par répartition espèrent pouvoir en tirer profit quand ils arriveront eux-mêmes à l’âge de la retraite. Cela pourrait ainsi expliquer pourquoi le choix de la répartition gagne du terrain avec l’âge. Il convient toutefois de noter que les retraités sont plus nombreux à partager avec les plus jeunes cette nécessité d’évoluer vers un système par répartition avec une partie de capitalisation. Un sondé sur deux âgé de 65 et plus est, en effet, de cet avis.
L’épargne-retraite fait son entrée chez les jeunes adultes
Selon l’INSEE, début 2018, près de 15 % des Français détiennent un produit d’épargne-retraite. Sans surprise, le poids de la retraite supplémentaire chez les moins de 30 ans (6,6 %) est bien moindre. Cependant, bien que moins coutumiers des produits dédiés à la préparation de la retraite, les jeunes sont de plus en plus sensibilisés aux dispositifs de retraite supplémentaire.
Ainsi, dans la dernière édition de sa publication annuelle « Les retraites et les retraités » publiée en juin 2019, la DREES relève que le poids des jeunes a fortement progressé parmi les nouveaux adhérents au cours des dix dernières.
En 2017, un nouvel adhérent sur quatre avait moins de 30 ans contre 14 % dix ans plus tôt. Cette évolution tient principalement au fléchage réalisé par les pouvoirs publics en direction du PERCO qui a permis d’accroître, ces dernières années, le nombre de détenteurs d’un produit d’épargne retraite d’entreprise. Produit d’épargne retraite créé par la loi portant réforme des retraites du 21 août 2003, le PERCO est ouvert à l’ensemble des salariés de l’entreprise. Il permet ainsi aux jeunes actifs, dès leur insertion sur le marché du travail, de se constituer un complément de revenus pour leur retraite dès lors que le dispositif a été mis en place au sein de l’entreprise qui les emploie.
Les 25-34 ans plus ouverts à l’expansion de l’épargne-retraite
Les jeunes sont en quête de produits qui leur ressemblent. Plus mobiles que leurs aînés au même âge, ils avaient ainsi exprimé leur nette préférence pour les dispositifs d’épargne-retraite individuelle dans l’édition 2018 de l’enquête Cercle de l’Épargne/Amphitéa (solution alors privilégiée par 73 % moins de 35 ans).
La remise à plat de l’architecture de l’épargne-retraite dans le cadre de la loi pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) publiée au Journal Officiel le 23 mai 2019, semble avoir suscité l’intérêt des jeunes actifs insérés professionnellement.
35 % des 25-34 ans jugent les mesures de simplifications introduites dans la loi PACTE incitatives, soit davantage que leurs aînés toutes classes d’âge confondues (28 % en moyenne nationale).
Les pouvoirs publics, dans un souci de simplification, ont cherché à faire converger les produits et harmoniser des règles en vigueur. Ils ont par ailleurs entendu accroître la concurrence entre les professionnels proposant des solutions d’épargne-retraite et renforcer le devoir d’information auprès des détenteurs, autant de soucis qui pourraient faire écho aux aspirations des jeunes générations.
Afin d’adapter la société aux enjeux liés au vieillissement de la population, les charges supportées par les actifs sont amenées à s’accroître dans les prochaines années. Ainsi, les jeunes générations qui sont déjà confrontées au défi économique de la mondialisation et du digital devront également relever celui de la prise en charge des seniors.
À cette situation inédite s’ajoute le poids considérable de la dette publique qui est passé en quarante ans, de 20 à 99 % du PIB, dette qui n’est autre qu’un transfert intergénérationnel déguisé.
Ce contexte n’est pas sans conséquence sur l’appréciation des jeunes vis-à-vis du système de protection sociale. Convaincus que sa pérennité n’est pas assurée, ils sont les plus enclins à s’en remettre à l’épargne-retraite. Ils sont, en revanche, assez opposés au report de l’âge de départ à la retraite pensant certainement qu’ils en seront les premières victimes.
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