Histoire d’une réforme des retraites
De Louis XIV à Emmanuel Macron
À la fin du XVIIe siècle, Louis XIV essayait de bâtir une marine capable de rivaliser avec celles de l’Espagne ou de l’Angleterre. Face à la triste répétition des défaites, il demanda à son Ministre de la Marine qui était aussi Ministre des Finances de trouver une solution. Celui-ci lui proposa la mise en place d’un Fonds des Invalides de la Marine, afin d’attirer les meilleurs marins et les dissuader de devenir corsaires. C’est ainsi que fut créé entre 1673 et 1681, le premier régime de retraite français. Il perdure depuis et fait partie de la liste des régimes de retraite susceptibles d’être intégrés dans le futur système universel promis par Emmanuel Macron.
Notre système de retraite a toujours été en chantier. Les fondations furent longues à être réalisées. Près de trois siècles ont été, en effet, nécessaires à la France pour instituer une couverture de l’ensemble de la population. Les militaires, les fonctionnaires, les employés des mines, des transports ferroviaires furent les premiers assurés face au risque vieillesse. Plus d’une trentaine de lois furent discutées au cours du XIXe et XXe siècle avant la mise en place du régime général à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. Notre système de retraite est donc le produit d’une histoire politique, économique et sociale. Il est le reflet de la société avec ses complexités et ses contradictions.
Réformer un tel système, c’est modifier le pacte social du pays. En 2019, ce système dans son expression la plus large concerne plus de 29 millions d’actifs et 17 millions de retraités.
La retraite est-elle un droit ? Dans la logique comptable des régimes par répartition, non, mais dans l’esprit des Français, si. Au-delà de cette question, il est reconnu par la Constitution avec l’alinéa 11 du préambule de 1946 qui indique que la nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ».
La couverture du risque vieillesse supplée, par ailleurs, l’obligation civile que les enfants ont vis-à-vis de leurs parents devenus vieux. En étant par répartition, il repose sur le concept de solidarité intergénérationnelle.
Un système qui a réussi
Si la marche vers la couverture générale de la population fut longue, force est de constater qu’elle a été couronnée de succès. Le taux de pauvreté des retraités est, aujourd’hui en France, un des plus faibles d’Europe. Il est de 8 % soit nettement inférieur à celui de la moyenne de la population (14 %). Le nombre de personnes âgées bénéficiaires du minimum vieillesse est passé de 2 millions au début des années 1970 à moins de 600 000 en 2016, quand, dans le même temps, le nombre de retraités s’est accru de plus de 10 millions (plus de 16 millions de retraités en 2017 contre 3 millions en 1970). Le niveau de vie des retraités est aujourd’hui supérieur de plus de 3 % à celui de l’ensemble de la population.
Cette réussite n’est pas exempte de critiques. Les Français jugent, dans une large majorité, le système injuste et inefficace. De même, près des deux tiers considèrent qu’il n’est pas en capacité à fournir un revenu suffisant pour vivre correctement (enquête du Cercle de l’Épargne – 2018). Du fait du grand nombre de régimes de retraite, le sentiment que le système en avantage certains et en pénalise d’autres est amplement partagé.
L’équité et l’égalité comme clefs de voûte du futur régime universel
Cette appréciation explique le succès du slogan du Président de la république « un euro cotisé doit donner les mêmes droits de pension pour tous ». Ce dernier répond parfaitement à la soif d’égalité qui transcende la société française. Cette soif d’équité n’est pas sans contradiction. En effet, dans leur for intérieur, les Français ne sont pas opposés au maintien de spécificités sous réserve qu’elles leur soient favorables. Cet égalitarisme est en matière de retraite extrêmement difficile à mettre en place car par nature, le calcul des pensions se doit de prendre en compte des carrières professionnelles disparates. En outre, comment mesurer l’égalité, sur une base annuelle ou en prenant en compte l’espérance de vie. La retraite doit-elle compenser la pénibilité subie durant la période d’activité ou doit-elle simplement être un élément comptable ?
Dans le futur régime universel devraient figurer les régimes des salariés, les régimes des professions libérales, celui des indépendants, les systèmes de retraite des fonctions publiques et les régimes spéciaux. Le Haut-commissaire a admis que les dispositifs particuliers dont bénéficient les 3 fonctions publiques et les régimes spéciaux, en particulier pour les conditions d’âge de départ à la retraite, pourraient être conservés. Il n’a pas été précisé quelles seront les modalités pour en bénéficier.
Le régime universel, un pilotage simplifié
La création d’un grand régime par points qui rassemblerait les 42 régimes existants a également pour objectif d’offrir aux pouvoirs publics des moyens de pilotage beaucoup plus simples. En jouant sur les valeurs d’achat et de rachat des points, il sera plus facile de rééquilibrer les comptes. Aujourd’hui, il faut passer par des réformes anxiogènes pour ajuster les dépenses aux recettes. Dans le futur régime, les actifs accumuleront des points achetés à un prix fixé par avance et cela durant toute leur vie professionnelle. À la retraite, les points seront convertis en pension en fonction d’un prix de rachat. Un tel système est déjà en vigueur dans plusieurs régimes par répartition (régimes complémentaires AGIRC/ARRCO ou pour les professions libérales). Le Corem est également un régime par points mais fonctionne selon le principe de la capitalisation (épargne retraite).
Dans le cadre de la concertation engagée par le Haut-commissaire à la réforme des retraites, de nombreux sujets ont été abordés dont plusieurs donnant lieu à d’âpres débats.
L’épineux débat de l’âge de départ à la retraite
Le Président de la République s’est engagé lors de la campagne présidentielle à ne pas toucher à l’âge légal de départ à la retraite qui est fixé à 62 ans (hors régimes particuliers). Dans le système actuel, cet âge doit être combiné avec la durée de cotisation (42 ans pour la génération 1961 par exemple et 43 ans pour les générations 1973 et au-delà). Ce n’est qu’à 67 ans que la retraite est accordée à taux plein sans prise en compte des trimestres. Ces derniers servent néanmoins pour le calcul de la retraite de base dans de multiples régimes. En outre, pour inciter les actifs à poursuivre leurs activités, de nombreux mécanismes ont été institués, décote, surcote, bonus/malus pour le régime de retraite complémentaire AGIRC-ARRCO. En abandonnant le concept de durée de cotisation, il y a un risque que de nombreux actifs liquident leurs droits à 62 ans remettant en cause l’équilibre du futur régime universel.
De ce fait, depuis des mois, des propositions sont avancées pour contourner cet écueil : recul de l’âge de départ, introduction de bonus ou de malus, etc. La solution pourrait être l’instauration de comptes notionnels sur le modèle suédois ou italien. Dans un tel système, les actifs disposent d’un compte retraite qui enregistre leurs points. Le calcul de leur pension s’effectue en fonction du nombre de points en intégrant un coefficient d’espérance de vie. Deux personnes ayant le même nombre de points ont des pensions différentes si elles ne partent pas au même moment, celui partant avant l’autre sera pénalisé avec une pension mensuelle plus faible.
L’indexation des pensions, un enjeu financier
La question de l’actualisation des pensions en 2019 tout comme la hausse de la CSG l’année dernière ont replacé la question du pouvoir d’achat au cœur du débat public. Dans le cade du futur régime, les points et les pensions doivent-ils suivre le salaire moyen comme avant 1993 ou l’inflation qui est devenue la règle depuis, avec quelques exceptions ?
Il est admis que l’indexation sur les prix génère, sur longue période, une dégradation du niveau de vie des retraités. Si l’option des salaires apparaît évidemment souhaitable, la question de son financement se pose. L’indexation complète sur l’inflation aurait coûté plus de 5 milliards d’euros en 2019 aux régimes de retraite.
Solidarité, assurance, il faudra choisir
Notre système actuel de retraite comporte un grand nombre de dispositifs à finalité sociale. Les congés maternité, les arrêts de travail pour maladie, le chômage le handicap, le décès du conjoint sont autant de facteurs pris en compte. Par ailleurs, au nom de la solidarité, le taux de remplacement des actifs les plus modestes est nettement supérieur à celui des plus aisés. Ainsi, un salarié au SMIC peut espérer un taux de remplacement de sa pension par rapport à son dernier salaire d’environ 75% quand ce taux est, en moyenne, de 57 % pour un cadre.
Dans le nouveau régime, il faudra introduire des mécanismes de solidarité. Devront-ils être financés par les assurés au risque de remettre en cause le slogan présidentiel précité ? Devront être financés par l’impôt ? Certains dispositifs pourraient-ils disparaître ? Si la réversion est maintenue, en revanche, la conservation des majorations pour enfant est en question.
Le casse-tête de la transition et du basculement
Le Gouvernement devra fixer les règles de transition d’un système à un autre. Il est admis que la réforme entrera en vigueur en 2024 ou 2025 et qu’elle ne s’appliquera que pour les générations nées après 1963 ou 1964, sachant que pour les personnes déjà la retraite, il n’y aura pas de changement.
Une période transitoire sera instituée pour passer d’un système à un autre. La grande majorité des pays européens qui ont, ces dernières années, mené des réformes systémiques ont prévu des dispositifs de transition. En 1998, la Suède, pour la mise en place des « comptes notionnels », a prévu une période transitoire de 17 années. L'Italie avait, en 1995, décidé de réaliser sa grande réforme des retraités sur 40 ans. En Allemagne, le passage d'un régime par annuités à un régime par points en 1992, a, en revanche, été instantané, avec une conversion d’emblée des droits anciens.
Pour les actifs concernés et ayant commencé sous l’ancien système, il faudra effectuer un transfert des droits potentiels accumulés. Plusieurs solutions sont envisageables. En fonction de la méthode choisie, il y aura des gagnants et des perdants.
Qui gouvernera le nouveau paquebot des retraites ?
Le système de retraite hors fonctions publiques est dirigé, depuis la Seconde Guerre mondiale par les partenaires sociaux même si pour le niveau de base, l’étatisation est la règle depuis 1995. En revanche, les régimes AGIRC-ARRCO restent gérés de manière paritaire. La création du régime universel s’accompagnera-t-elle du maintien d’un minimum de paritarisme ?
Comment gérer un système unique avec des actifs relevant de statuts différents ? Qui sera compétent pour fixer les règles d’indexation des pensions ainsi que la valeur d’achat et de rachat des points ? L’État, le Parlement, la direction du régime unique, les partenaires sociaux ? Par ailleurs que deviendront les personnels en charge du système de retraite actuel, les salariés des différentes caisses, des institutions de prévoyance en charge des complémentaires ? La mise en place d’une administration centralisée de la retraite est-elle synonyme d’efficience et de transparence ?
Quelle place pour la retraite demain ?
La réforme systémique peut à terme générer des économies de gestion mais le changement de mode de calcul des pensions ne résout en rien le problème de financement. Aujourd’hui, les retraites constituent de loin, avec plus de 320 milliards d’euros de dépenses, le premier poste de dépenses sociales.
D’ici 2060, le nombre de retraités augmentera de 7 millions. Le taux de remplacement qui apprécie le montant des pensions reçues par rapport aux revenus d’activité est annoncé en baisse. Toute chose étant égale par ailleurs, le niveau de vie des retraités risque de baisser dans les prochaines années. Face à cette évolution liée à des contraintes démographiques et économiques, les futurs retraités doivent se positionner de plus en plus tôt pour élaborer une stratégie en fonction de leurs besoins. Pour les Français, c’est cette réforme qui est peut-être la plus importante car ils ont, jusqu’à maintenant, considéré à juste titre, que le système par répartition était relativement généreux.
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